L’histoire de la minuscule rivière et de l’énorme volcan.

C’était une jolie rivière, aux eaux pures et tranquilles, qui glougloutait joyeusement en descendant dans la vallée.
Limpide et rafraichissante, elle abreuvait les arbres, les buissons, les plantes et tous les animaux qui vivaient à ses côtés: ils grandissaient tous en beauté et en santé à son contact.
La Nature environnante était luxuriante, magnifique…Un lieu magique rempli de chants.
Dans les grands arbres verdoyants, on entendait le vent: il bruissait dans les feuilles. Cela faisait comme des petits cliquetis, des danses légères et sans fin, peuplées d’écureuils joueurs, de chorégraphies dans les feuilles argentées, et le parfum des fleurs, au printemps, se répandait dans l’air…
Et le vent chantait pour la rivière, et la rivière enchantait le vent: les deux amis devinrent inséparables…Comme ça sent bon, et quelle délicieuse musique ! disaient les papillons et les abeilles en butinant gaiement…
Or, voici ce qu’il advint…
Au détour d’une colline, la rivière, en continuant à descendre, rencontra une gigantesque montagne: de gros rochers noirs, luisants, impassibles et silencieux, barraient la vallée à cet endroit là: impossible de passer…
Cette très haute montagne sombre, triste et froide, était recouverte de gros nuages gris très menaçants. On voyait les éclairs zébrer régulièrement le ciel à son sommet et parfois, dans le cratère, on entendait des chouinements pch…pch…pch…comme ceux d’une baleine quand elle remonte à la surface…et d’étranges lueurs, des fumées verdâtres qui sentaient l’œuf pourri se répandre dans l’atmosphère.
La montagne gémit, gronda, et alors les oiseaux s’arrêtèrent de chanter. .
Les fumées devinrent si toxiques que certains arbres, certaines herbes jaunirent, se fanèrent, séchèrent et moururent….Le lieu perdit sa magie et devint un désert aride et inhospitalier.
Mais la rivière, joyeuse et courageuse, continuait de couler tranquillement, comme si de rien n’était. Alors les oiseaux un peu rassurés, recommencèrent timidement à chanter, puis, de plus en plus fort, et à force de chanter tous ensemble, ils reprirent courage.
Au pied de la montagne, l’eau s’accumula et forma un lac. Un beau lac très profond, plein de poissons, et d’herbes aquatiques qui se mouvaient au gré du courant…
Transparent, bleu-vert, pur comme un bijou….
Plus la barrière de la montagne s’élevait et plus la rivière s’approfondissait…
Un ode à l’amour, au pied de la menace.
Alors, avec la force et avec la pression de l’eau, une petite fissure se creusa dans la roche, qui peu à peu, se dissout et se laissa traverser par le liquide bienfaisant.
Cela prit plusieurs années. Des années de patience, de labeur lent, de persévérance, et de tendres mouvements…. Et la rivière continuait d’avancer en se frayant un minuscule passage, elle devint comme un simple filet, tout discret et tout timide, un peu taiseux, au glouglou imperceptible, qui parvint tout de même jusqu’à la grande mer, là où les vagues salées se mélangent à l’eau douce, et reçoivent le soutien des eaux pures et neuves venues de la vallée….
Oui ; la rivière coulait tout petit mais elle continua et ne s’arrêta pas….
Et les arbres reverdirent, les herbes repoussèrent, et le désert se transforma peu à peu….Comme c’était beau à voir, toute cette floraison sur les pentes du volcan…Car c’était bien un volcan, cette montagne…La rivière, rassurée, reprit ses aises et s’étala. Le lac grossit et se ramifia.
Néanmoins quelque chose d’imprévu et de terrible se passa…
Une énorme boule de feu, et meurtrière, s’était progressivement assemblée dans le fond du cratère. La colère de la montagne.
Patiemment accumulée, par des siècles de pression, nourrie par des roches noires, par des flambées catastrophiques entretenus par des magmas violents, par des poussées infernales et perfides…
Une gigantesque explosion fit vibrer le rocher. La terre trembla, une grande faille se creusa, une blessure profonde apparut, la lave s’écoula et une bonne partie de l’eau du lac bleu-vert s’évapora instantanément, formant de sinistres nuages au dessus de la vallée, autrefois si ensoleillée et si gaie…
Un temps, on craint le pire: la disparition totale et définitive de la rivière: car elle se jetait maintenant dans un abime dont on ne voyait pas le fond, dans un effroyable gémissement qui ressemblait presque à un cri de détresse.
Devant ce triste spectacle, les animaux de la forêt, qui avaient si longtemps profité de ses bienfaits, eurent tôt fait d’oublier la gratitude, ils prirent la rivière en pitié, puis leur pitié se changea en irritation. Ils s’endurcirent pour ne pas pleurer.
“Pff de toute façon, c’est un minuscule ruisseau sans importance”
“Il n’est même pas mentionné dans les légendes.”
“Ni sur les anciennes cartes”
“Ouais, elle nous a bel et bien laissés tomber!”
“Mais je vous l’avais dit qu’elle était bizarre, tortueuse, pas comme ces autres rivières majestueuses et rassurantes, qui sont semblables à des Déesses et dont on entend parler…
“Ouais et puis parfois elle est limpide, et parfois elle se trouble: elle est trop changeante! On ne peut pas compter sur elle pour s’abreuver correctement!”
Malgré tous ces commentaires fort désobligeants, la rivière continua sa route, mais en profondeur cette fois. Elle suivit une veine d’argile qui dans sa douceur, apaisa la surprise et le chagrin de ses eaux souillées. Elle forma un lac souterrain, et elle continua d’exister cachée aux regards.
Mais rien ne dure: tout ce qui existe se transforme.
Le volcan se calma et s’endormit: dans ses entrailles on entendait distinctement deux chants, très différents: le grondement de la lave, remontant par sa faille interne, et le discret murmure de la rivière…
Les nuages formés par l’eau du lac au moment de l’explosion se transformèrent en pluie, au gré des saisons, et l’eau de la fille-pluie en filtrant à travers la roche, se faufila pour revenir au sein de sa mère, la rivière des origines….
Alors le chant de la mère-rivière fut accompagné par le chant de la fille-pluie, par le goutte à goutte des stalactites chargées d’eaux riches en minéraux plic, plic, plic.. qui retombaient dans le lac mystérieux et silencieux, caché aux regards: Plouc plouc plouc.
Plic, plouc… plic, plouc… plic, plouc…
Un lac souterrain, plein de riches minéraux, un lac pour soigner la rencontre des opposés… mais…
Comme il est difficile d’entendre le bruit de l’eau quand la lave gronde et que la faille s’élargit!
La force de la lave reprit le dessus et le volcan entra à nouveau en éruption. Encore une fois, l’eau de la rivière se transforma en vapeur, et un mélange boueux et malodorant de roches pulvérisées, d’eau sale, et de lave incandescente se répandit dans la riante vallée.
Les feuilles des arbres se couvrirent de cendres. Ce fut le chaos: un spectacle de totale désolation. Les oiseaux battirent en retraite. Plus personne n’avait le coeur à chanter…
On voyait la belle rivière sinueuse chargée maintenant de débris de toutes tailles, couler péniblement à travers les chaos de pierres, alanguie, fatiguée….Mais elle continuait, elle continuait.
Je suis une rivière, pensait-elle: c’est mon destin de couler. Alors je continue. Parfois j’aimerais m’arrêter, m’évaporer toute entière, me transformer en nuages, et alors aucune montagne ne viendrait plus contrecarrer mon parcours, mais cela ne produirait rien de bon, n’est ce pas ?
Que deviendraient les animaux et les arbres, sans moi?
Alors même fatiguée, même chargée, même affaiblie, même transformée en partie en nuages, je continue mon travail de rivière…mon devoir de rivière…mon dharma de rivière….
Cependant elle réfléchit et décida de demander de l’aide: elle appela au secours son grand ami le vent…Le vent, son amoureux discret, son chevalier servant, répondit tout de suite!
A ton service, O Dame rivière, je t’aime de loin et je te vénère, je te regarde et je t’admire…
Il souffla, d’un souffle comme un baiser… Il secoua les feuilles des arbres pour enlever la poussière toxique qui bloquait leur respiration naturelle, et les feuilles redevinrent vertes et luisantes. Il accumula les nuages au sommet du volcan, les poussa et les souleva vers les
fraiches couches de la stratosphère, là-haut, tout là-haut, plus près des étoiles, et depuis là-haut: Toute l’eau de la rivière qui s’était évaporée se condensa et retomba en pluie bienfaisante, lavant le paysage. Cela dura des jours et des jours, pendant lesquels le sommet de la montagne fut  entièrement caché par l’épaisse calotte des nuages. Les rochers calcinés se couvrirent de mousse, et la vie reprit son cours, comme elle le fait toujours.
Un beau matin, le soleil revint.
Les animaux virent alors que la montagne avait perdu plus d’un tiers de sa hauteur.
Que la rivière avait changé son cours et son apparence.
Sinueuse, chaotique, grise, marbrée d’ocre et de marron, elle se frayait un chemin compliqué au milieu des débris qui reformait un paysage bien diffèrent du paysage précédent.
Les débris charriés par la rivière comblèrent peu à peu la faille, créant une sorte de barrage, un rempart contre l’anéantissement.
Petit à petit le lac se reforma au pied de la montagne, et la boue de ses eaux grises se déposa au fond, laissant à nouveau apparaitre le reflet bleu-vert du joyau aquatique…
Un bleu vert plus nuancé, adouci par les cendres du volcan.
Et l’autre lac, le lac caché, plus bas dans la vallée, se dévoila un jour, au gré d’un glissement de terrain: ses eaux sulfureuses chargées de minéraux rares et précieux attirèrent une foule d’animaux malades et maigrichons, et les premiers chamanes des premiers hommes, en les
observant se rouler dans les boues bienfaisantes, vinrent y soigner leurs tribus sur ses bords…
La légende fut rapportée par les conteurs du monde sauvage, un mythe se créa, et pendant l’Antiquité, des foules de gens malades vinrent se baigner sur ses rives, et en firent un lieu de pèlerinage et un refuge.
Et de l’étrange et improbable mariage des opposés, entre la montagne et la rivière, naquit une amitié solide: depuis l’Ouest, des rives de l’Indus, des druides vinrent, et consacrèrent le lac soufré à Borvo, le Dieu celte des eaux chaudes, et le lac bleu-vert à Divonna, la Déesse celte des eaux limpides et rafraichissantes.
Puis les druides repartirent et pendant des siècles, nul ne sut ce qu’ils étaient devenus.
Les gens continuaient à affluer, mais ils ignoraient pourquoi. Et le récit tomba dans l’oubli.
Deux mille ans plus tard, des humains du 20ème siecle, munis d’étranges instruments de mesure, de loupes et de lunettes, de blouses blanches, de thermomètres, de pH-mètres et de sismographes, vinrent et y apposèrent un premier écriteau :
“LABORATOIRE DE VULCANOLOGIE”
“Recherche en thermodynamique, géologie et mécanique des fluides”
Puis au gré des changements de politique et du manque de crédits pour la recherche, au gré des guerres qui font s’affronter avec la plus extrême stupidité des troupeaux d’hommes rendus imbéciles par le lavage de cerveau médiatique dont les élites tirent les ficelles, l’argent vint à leur manquer…
Le premier panneau se délava, ses écritures disparurent, un coup de vent l’arracha, il tomba dans l’eau, pourrit et fut emporté. Un siècle passa ainsi.
A l’aube du 21ème siècle, une deuxième longue procession d’hommes en blanc munis de microscopes, d’ordinateurs portables, de téléphones cellulaires et de boites noires, de tubes à essais et de réactifs chimiques vinrent étudier sur les rives du lac, et y apposèrent un deuxième panneau.
“PROSPECTION DE LA SOURCE THERMALE”
“Recherche médicale sur la neuro-plasticité et la biochimie cellulaire”
La rivière se dit: cela doit être la nouvelle religion. Ces hommes là sont bien habillés de blanc, eux aussi, comme les druides des temps jadis. Mais peu importe ce qu’ils disent, moi je continue mon travail: Je coule, je dissous, je calme, je caresse, j’apaise, je cicatrise, je joue, je chante, je vis, j’abreuve, je soulage, je suis…la rivière.
Alors finalement quelques mois plus tard lorsque vous lirez sur le panneau, vous vous rappellerez que c’est le mariage des opposés, ce sont les noces sacrées des contraires qui ont produit cette merveille…C’est la hiérogamie intérieure entre les émotions perturbatrices de la Montagne et la persévérance dans la douceur des pratiques spirituelles de méditation de la Rivière, à l’intérieur de vous mêmes, que le lac tranquille et thérapeutique a vu le jour.
Ce que les humains en diront ou écriront à son sujet sera certes intéressant, mais théorique.
Le récit sera porteur d’espoir, mais vous…?
Vous, vous saurez dans votre corps comment cela fonctionne.
Plic, plouc,…plic, plouc… plic, plouc….

Willow Moon

5 Comments on “L’histoire de la minuscule rivière et de l’énorme volcan.

  1. Merci Willow Moon,
    c’est un très beau conte qui rappelle que les éléments sont les artistes de notre existence, et leurs ténacités la longévité du vivant.

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